Le début de la crise financière de Signa Sport United
La grande compagnie américaine Signa Sport United est confrontée à d’importantes difficultés financières, principalement dues à la chute de son secteur des vélos. Cela a conduit à son retrait de la bourse de New York et à l’annulation d’un investissement de 150 millions d’euros. En conséquence, sa filiale britannique, WiggleCRC, a dû déposer le bilan.
Cette dernière a été acquise il y a deux ans par Internet Stores, une filiale allemande de Signa Sports United, qui a également déposé le bilan en octobre dernier, quelques jours seulement après la société mère.
Le rachat de Probikeshop par le groupe allemand en 2017
Le groupe allemand avait racheté Probikeshop en 2017, ce qui a mis le premier distributeur français de vélos et d’accessoires de vélo en ligne en redressement judiciaire. Il en va de même pour Bikester, et par extension pour les marques de vélos telles que Vitus et Nukeproof, qui sont issues de Chain Reaction Cycle.
La faillite d’Internet Stores est celle de la plus grande plateforme mondiale dédiée au vélo sur internet. Rien de moins.
Les plans de relance pour sauver les différentes entités
Il est évident que des plans de reprise seront mis en place pour sauver les différentes entités. En ce qui concerne Probikeshop, la recherche de repreneurs est en cours, avec une date limite de dépôt des offres fixée au 1er décembre. Dans le contexte actuel du marché du vélo, c’est un délai très serré.
La croissance exponentielle du secteur du vélo depuis 2020
Depuis 2020, le secteur du vélo a connu une croissance exponentielle en raison de la COVID et de l’engouement pour le vélo. En 2020, Le Progrès a annoncé une croissance de 30% pour Probikeshop, ce qui a porté son chiffre d’affaires annuel à près de 110 millions d’euros. L’année suivante, malgré la pandémie et ses conséquences, le chiffre d’affaires est passé à 153 millions d’euros, avec un bénéfice de près de 4,20 millions d’euros.
Dans son dernier exercice financier, le chiffre d’affaires de Probikeshop est tombé à moins de 57 millions d’euros, avec 83 employés, selon Le Figaro. Le site Matos Vélo annonce quant à lui des chiffres effrayants pour 2022, avec un chiffre d’affaires de 143 millions d’euros et des pertes dépassant les 3,20 millions d’euros.
La cause des difficultés : la surproduction et l’inflation
Comme pour beaucoup d’acteurs sur le marché du vélo, cette descente aux enfers n’est pas due à une simple erreur. Après n’avoir pas pu répondre à la demande mondiale, qui a littéralement explosé de 2020 à 2022, les marques ont fait tourner les usines à plein régime, entraînant une surproduction qui s’est heurtée à l’inflation. Il est difficile d’imaginer un terrain plus glissant : les vélos et les accessoires s’entassent dans les entrepôts, sans trouver d’acheteurs.
Les problèmes de logistique de Probikeshop
En parlant d’entrepôts, la logistique de Probikeshop a été externalisée l’année dernière en Allemagne, ce qui a entraîné des dysfonctionnements : retards d’envoi, commandes incomplètes, produits non conformes… Ces problèmes sont surprenants compte tenu de la rigueur habituelle de l’enseigne française en matière de logistique. Prélude à la suite ?
La faillite des géants de l’e-commerce : le reflet d’une crise plus large
En regardant de plus près, la faillite des géants de l’e-commerce n’est-elle pas le reflet de celle d’un système tout entier dans le marché du cycle ? Les enseignes qui ont réalisé des bénéfices records, en profitant d’un contexte très particulier à un moment donné, n’ont-elles jamais pensé que la situation allait se calmer ? Que la demande allait se stabiliser, une fois que les clients seraient (sur)équipés et que leur porte-monnaie serait bien allégé par les sommes souvent exorbitantes demandées pour l’achat d’un vélo et/ou d’accessoires ?
Des vélos pré-commandés, qui arrivent si tard que la nouvelle gamme a déjà fait son apparition, mais que le client doit payer au même prix que le vélo du millésime suivant… L’anecdote n’est pas si drôle, ni si rare.
Le recul du marché du cycle selon Shimano
Shimano, un baromètre du marché du cycle, annonce un recul de 30% par rapport à 2022, mais un niveau d’activité qui reste supérieur à l’époque pré-Covid. Et la firme japonaise n’est pas la seule dans cette situation. D’autres marques enregistrent des pertes gigantesques. Mais encore une fois, et nous l’avions souligné dans les pages du magazine, beaucoup d’entre elles ont réalisé des profits records, en majorant considérablement leurs produits. Selon les dernières estimations d’un géant américain de la transmission/suspension/accessoires, le marché devrait revenir à la normale en 2024, malgré une baisse des ventes de vélos estimée à environ 45% au global cette année.
La hausse des prix des vélos
Dans l’éditorial du Spécial Test 2023, « Les prix de la passion », nous avions noté des hausses de 1000 à 2000€ sur des vélos (avec le même cadre !) vendus entre 2021 et 2023. Le prix moyen est passé de 5537€ en 2020 à 8560€ en 2023 pour les E-Bikes ! Nous avons également fait remarquer qu’il ne resterait bientôt plus grand monde pour acheter ces fruits de la passion, au goût décidément très amer.
L’impact de la mondialisation sur le marché du vélo
Alors oui, la mondialisation, l’effet domino qui entraîne une enseigne française star en redressement judiciaire, avec les pertes d’emploi et les difficultés financières qui s’ajoutent à la note, c’est une catastrophe. Mais s’arracher les cheveux en déplorant cette fatalité est bien hypocrite. Comment pouvons-nous être assez naïfs pour penser que la courbe de croissance du marché resterait exponentielle ? Pour croire que nous pourrions faire payer les clients des sommes indécentes, pour du matériel de qualité souvent inférieure (usines sous pression, temps de fabrication accélérés, matières premières de moindre qualité…) ? Et penser qu’ils en redemanderaient ?!
Nous espérons qu’une version V2 de Probikeshop sortira de cette mauvaise posture, et avec elle le marché du vélo dans son ensemble. Nous attendons également que ce sauvetage se fasse de manière plus intelligente. Avec des prix justes pour des produits justes, mais aussi et surtout grâce à un modèle économique plus réfléchi, qui ne soit pas uniquement axé sur le business. Si nous ne parvenons pas à changer les règles du marché du vélo, un secteur où le plaisir, la passion et l’engagement envers un développement plus vertueux sont sur toutes les lèvres (peut-être même trop, tant ces concepts sont galvaudés aujourd’hui), alors nous avons toutes les raisons d’être inquiets pour l’avenir.
La situation des magasins de proximité
Que vont devenir les magasins de proximité ? On pourrait penser que la tendance leur est favorable. Pourtant, de nombreux obstacles se dressent devant leur vitrine. Si les Wiggle, Probikeshop, Bikester… décident de revendre tout leur stock à des prix bradés, alors les petits magasins auront du mal à suivre, et le marché sera encore plus déséquilibré. L’écart de prix pourrait devenir énorme, entre un géant qui veut liquider ses stocks et un magasin local qui a besoin de réaliser une marge pour survivre.
Ce qui change, néanmoins, c’est que le magasin local redevient le choix de la raison, de la sécurité. Rien ne garantit que vous serez livrés, ou remboursés, sur les plateformes en ligne qui sont durement touchées par la faillite de Signa Sport United. Chez votre vélociste, de la main à la main, les mauvaises surprises sont moins susceptibles d’arriver. Ramener les clients dans les magasins, c’est briser, pour un moment du moins, l’idée préconçue que rien n’est plus important que le prix, ou les volumes.
Le besoin d’un système plus équilibré
Quand un magasin s’approvisionne chez une enseigne en ligne, parce que les prix sont plus bas que s’il commande directement les produits à la marque, on sait que le système est mauvais, qu’il est condamné. C’est pourtant monnaie courante. C’est sur de tels points qu’il faut retrouver un système vertueux, qui donne sa chance à chacun, aux vélocistes comme aux grandes enseignes en ligne, avec une idée en tête : ce n’est pas le même métier pour les uns, et pas la même manière de consommer pour les autres. Cela dit, on peut légitimement penser qu’il y a de la place pour tout le monde.
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